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Benoît Mauguin cordeur de Équipe de France de Coupe Davis : “Nous avons beaucoup à apporter aux joueurs »

Benoît Mauguin FFT
Source image : FFT / Antoine Couvercelle

À la veille du Rolex Paris Masters, entre l’installation de deux machines de cordage qui doivent permettre à son équipe de bichonner les raquettes de Gaël Monfils, Cameron Norrie, Félix Auger-Aliassime et Ugo Humbert, Benoît Mauguin, cordeur de l’équipe de France de Coupe Davis nous a accordé un entretien. Celui qui est prêt à prendre une part de risque dans un milieu conservateur, afin d’optimiser l’outil de travail des joueurs, nous raconte sa vie sur le circuit ATP. 

« Permettre de conserver la tension du cordage le plus longtemps »

Racontez-moi votre parcours, comment devient-on cordeur sur le circuit ATP ?

Après mon bac, pendant ma licence STAPS, j’ai eu la chance de découvrir Roland-Garros de l’intérieur auprès de l’équipe cordage qui était montée par Tecnifibre. Cette expérience m’a permis de me rendre compte qu’il existait une certaine négligence des joueurs et de leur entourage vis-à-vis de leur outil de travail. Je m’attendais à ce que l’espace cordage d’un tournoi du Grand-Chelem soit comme un paddock de Formule 1 mais en fait on était loin de cela. Après Roland, je bossais à temps partiel chez Decathlon mais je suis toujours resté en contact avec Tecnifibre qui était, à cette époque, sur une dizaine de tournois du circuit. C’est comme ça que j’ai commencé à constituer un petit réseau, je côtoyais régulièrement les joueurs et les coachs qui commençaient à apprécier ma façon de travailler. 

Une fois le pied sur le circuit ATP, vous ne l’avez jamais quitté ? 

Très rapidement, j’ai été contacté par Roman Prokes qui est l’homme qui accompagnait André Agassi sur tous ses tournois et qui me propose de le remplacer. C’était l’opportunité pour moi de travailler en privé auprès des joueurs et non plus pour les marques donc c’était quelque chose de stimulant. En 2011, je mets les deux pieds dedans et je démarre à temps plein avec un groupe de joueurs qui sont ni plus ni moins que mes idoles de jeune tennisman : Tommy Haas, Andy Roddick. Après trois années dans cette structure privée, je me mets à mon compte avec Maria Sharapova qui me permet de démarrer mon activité de la meilleure des manières. 

Aujourd’hui qui sont les joueuses/joueurs qui font appel à tes services ? 

Le programme que propose ma structure c’est d’accompagner tous ses joueuses/joueurs sur les tournois du Grand Chelem et les Masters 1000. Sur les treize tournois les plus importants de l’année, on se déplace avec nos machines et on travaille de manière quotidienne auprès de Gaël Monfils, Félix Auger-Aliassime, Ugo Humbert, Cameron Norrie, Leylah Fernandez, Jelena Ostapenko, Caroline Garcia.

Pourquoi faire le choix de ne pas se rendre sur les 250 et 500 ? 

On les laisse se débrouiller avec les cordeurs envoyés par les marques pour une question de coûts parce que forcément quand on se déplace pour un seul joueur la facture augmente pour lui. Comme sur les tournois du Grand Chelem et les Masters 1000 ils sont assurés de les jouer, ça permet de mutualiser les coûts. À l’avenir et grâce à l’augmentation des prize money et des contrats de sponsoring, il n’est pas impossible qu’on soit amené à se déplacer sur un plus grand nombre de tournois. 

Quelles sont les qualités d’un très bon cordeur ? Pourquoi les joueurs choisissent votre structure et pas une autre ? 

La première des qualités indispensables c’est d’être capable de reproduire à l’identique une série de raquettes. Dans un deuxième temps, il est nécessaire de prendre en compte tous les détails. Nous, on restitue la raquette prête à jouer. On essaye également de respecter la même temporalité parce que certains joueurs préfèrent quand leur raquette est prête la veille du match, d’autres le matin même. On a développé un savoir qui n’a rien de révolutionnaire mais qui permet par exemple de conserver la tension le plus longtemps. 

« La Coupe Davis ? Le Graal d’y être parvenu »

Vous avez intégré l’Équipe de France de Coupe Davis en 2022, comment ça s’est fait ? 

D’abord ça a longtemps été une source de frustration parce que j’ai longtemps rongé mon frein et après quelques rendez-vous manqués, ils m’ont contacté et je n’ai pas hésité. 

Qui est à l’origine de votre nomination ? 

Ce sont les joueurs qui ont été sondés par la Fédération Française de Tennis et ils ont soumis mon nom pour que je m’occupent de leurs raquettes. 

Qu’est-ce que ça représente pour vous de porter la veste bleue ? 

C’est un objectif que je m’étais fixé au début de ma carrière donc c’est un peu le Graal d’y être parvenu. C’est une forme de reconnaissance dont je suis très fier. 

« Un monde très conservateur »

Avez-vous constaté une évolution du comportement des joueurs vis-à-vis de leur cordage depuis ton arrivée sur le circuit ? 

Je ne veux pas être caricaturale mais je pense qu’on évolue dans le bon sens même si, de mon point de vue, j’estime que ça ne va pas assez vite. Selon moi, on a mis presque dix ans à comprendre que les cordages en polyester à des tensions très importantes sur des cadres pas très grands c’était une hérésie. 

Comment expliquez-vous cette lenteur dans le changement ? 

Parce que les gens qui étaient autour des joueurs ne les ont pas poussé ou ne leur ont pas expliqué que ces cordages là, il fallait les tendres le moins possible et apprendre à jouer avec. Selon moi il y a eu “une génération sacrifiée”, de joueurs qui ont découvert le polyester sans l’adaptation et qui malheureusement ont difficilement pu poursuivre leur carrière après 30 ans. Plus récemment on voit arriver des joueurs avec des combinaisons raquette/cordage beaucoup plus cohérente de ce qui se faisait dans le passé. Tout cela me conforte dans l’idée que nous, les cordeurs, avons beaucoup à apporter aux joueurs. 

Quel est le rapport des joueurs au cordage de leur raquette ? Est-ce qu’un joueur est amené, pendant sa carrière, à beaucoup varier sa méthode de cordage ?

Globalement c’est un monde très conservateur, par le simple fait que du moment que le joueur bat l’adversaire, ça veut dire qu’il a raison. Au golf par exemple, c’est un peu différent. À chaque innovation, le joueur de golf va chercher à la tester pour voir si ça peut améliorer son drive par exemple. Il y a une part de risque dans tous changements et ce n’est pas évident de minimiser ce risque, surtout que les joueurs ne disposent que de très peu de temps pour tester correctement les évolutions possibles. 

Comment identifiez-vous les possibilités d’amélioration de la raquette d’un joueur ? 

C’est une démarche globale. Quand toi tu regardes un match de tennis tu le regarde avec tes yeux de fan ou d’observateur, pendant que moi j’analyse ce que je peux apporter que ce soit sur le cadre de la raquette, sur le cordage… Au moment où on est sollicité, il faut être pertinent. 

Est-ce que le cordage varie en fonction du style de jeu d’un joueur, de la surface, des balles ? 

Le cordage en lui-même non, en revanche on fait varier la tension à laquelle on va le poser, en fonction des conditions de jeu : si la surface est lente, la qualité des balles qui en ce moment est assez catastrophique, les sensations du moment…

C’est vrai qu’on entend beaucoup de choses sur la qualité des balles que ce soit sur le circuit ATP ou WTA, vous les confirmez ? 

Je ne suis pas dans le secret des dieux mais le constat c’est que les joueurs se rejoignent quasi unanimement sur la qualité des balles. Quand tu regardes le deuxième set du match en Humbert-Norrie en Coupe Davis, il reste deux jeux à faire avec les balles et les échanges deviennent de plus en plus longs et Ugo nous dit que “ça n’avance plus” et la qualité de jeu s’en ressent. De notre côté, on recommande à nos joueurs de faire coïncider le changement de raquette avec le changement de balles.  

Est-ce qu’il existe des datas pour optimiser le cordage ? 

Moi je suis très à l’écoute de ce que peuvent apporter les datas parce qu’elles permettent de rationaliser encore davantage mon discours et de voir des choses que je n’aurais pas pu observer à l’œil nu. Malheureusement c’est encore un peu difficile d’accéder à des datas parce que les banques de données monnayent leur activité. Ce que j’utilise souvent c’est ce que donnent les joueurs qui eux, souvent, font appel à un data analyst.

Mathis Healy

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